Il y a un reproche que l’on fait souvent aux RPG japonais classiques (Dragon Quest pour n’en nommer qu’un) : c’est que les combats y sont répétitifs et un brin ennuyeux, lorsqu’ils consistent à appuyer sans réfléchir sur le bouton Valider pour utiliser la commande de base Attaquer.
Le but de cet article est d’expliquer en quoi ce « button mashing » peut être un choix de game design, et qu’il n’exclut pas toute réflexion comme on pourrait être tenté de le croire.
Pour me faire comprendre, je vais faire appel à une distinction que l’on fait au jeu d’échecs et dans les war games : la distinction entre stratégie et tactique.
La tactique consiste à décider de certains choix pendant le combat. La stratégie à décider avant le combat. Un exemple de cela (merci à coco) : dans un STR, « je fais des unités aériennes pour attaquer l'économie adverse, c'est de la stratégie ; j'arrive devant la base adverse et il y a des tourelles autour des récolteurs, je change de cible et m'en prend à des unités sans défense, c'est de la tactique ».
L’on peut dire qu’une stratégie parfaitement adaptée ne requiert aucun choix tactique : il y aura bien des actions, plus ou moins complexes, mais décidées avant, par la stratégie : les actions découlent d’une stratégie établie à l’avance. Au contraire, lorsque la stratégie se révèle inadaptée aux données du combat, on est amené à décider pendant le combat même : on est amené alors à développer une tactique.
Il y a donc des décisions que l’on prend avant, et des décisions que l’on prend pendant. Meilleures sont les décisions stratégiques, moins nombreuses à prendre sont les décisions tactiques.
Tenant compte de ces distinctions, le button mashing dans un RPG peut être analysé comme le résultat d’une stratégie bien rôdée.
Dans la plupart des RPGs, ces choix stratégiques concernent la constitution de son équipe (chacun ayant un profil différent, quelle est la combinaison que je préfère), l’équipement des personnages (quoi acheter, quand acheter, qui équiper ?), le contenu de l’inventaire. Il y a des variations bien entendu par rapport à cette formule de base.
L’accent mis sur la stratégie dans les RPGs est d’autant plus évident qu’une distinction claire est faite entre phase stratégique (menu des personnages, villages) et phase tactique (les combats même, les donjons) : la norme est en effet d’empêcher l’accès au menu en plein combat – et donc de changer son équipe, son équipement – ou encore d’acheter de nouveaux équipement et de nouveaux objets dans un donjon (les magasins se trouvant dans les villages).
L’exemple le plus caractéristique de cela, à ma connaissance, est Final Fantasy XII : où l’on assigne, avant le combat, une stratégie à ses personnages, pour les laisser s’ébattre ensuite conformément à nos instructions : il n’est même pas besoin de valider un quelconque choix en combat, tout se fait tout seul. C’est pourquoi Final Fantasy XII est taxé d’être un jeu où « on ne joue pas ». Il serait plus juste de dire que le jeu (= les décisions à prendre) se situe non dans le combat, mais dans sa préparation.
Ce qui ne signifie pas que le système de combat de Final Fantasy XII est irréprochable, et que c’est aux joueurs de s’adapter : trop de joueurs affirment le contraire pour qu’on puisse le prétendre raisonnablement. Un des défauts de ce système de combat est sa durée : si la stratégie importe plus que la tactique dans la plupart des combats, il est tout à fait inutile de les faire traîner en longueur : ces combats sont des moments où le joueur ne joue plus, peut-on dire : et si ces moments sont peu intéressants en soi, et qu’ils rompent de manière intempestive le rythme de l’exploration et de la narration, je n’hésite pas à les déclarer mauvais. Les seuls combats longs doivent être les combats tactiques : ce sont en règle générale les combats contre les bosses, cette durée et cette tacticité conjointes leur attribuant un rôle spécifique de culmination de tension d’une séquence de jeu (un donjon) ou d’une séquence narrative.
En conclusion, je crois que cette distinction entre stratégie et tactique permet de mieux saisir les enjeux des systèmes de combat des RPGs : à savoir que le jeu ne se trouve peut-être pas seulement dans les combats, mais aussi et surtout dans leur préparation *.
Merci de votre attention.
* Je ferai lire cet article à mon frère, en espérant qu’il arrêtera enfin de se moquer moi lorsqu’il me voit passer plus de temps, quand je joue à certains RPGs, sur Gamefaqs à imaginer les meilleures combinaisons possibles qu’à jouer effectivement. :p Je comprends aussi pourquoi il m’est arrivé d'arrêter de jouer à certains RPGs vers la moitié ou les trois-quarts du jeu : le plus souvent, ça a été quand je ne voyais plus de renouveau stratégique au jeu, et qu’il ne restait plus qu’à appliquer mécaniquement la stratégie optimale que j’avais développée.