Réflexions sur la notion de liberté, dans les jeux vidéo
Publié : 16 Juin 2011, 16:25
Alors ya Zim qui est venu jusqu'à oniro pour me chercher "ouaiis, trotter, Levelup se meurt si personne écrit d'article, toi tu as un super projet sur la liberté d'action en ce moment tu pourrais peut être écrire un article dessus", et comme il sait très bien flatter, j'ai pas pu résister.
Donc voici
Mes réflexions sur la notion d'action, de liberté, dans les jeux-vidéo, le point de vue de quelqu'un qui se frotte aux difficultés de la question (pourquoi la liberté dans les jeux, comment en donner l'illusion - ce n'est jamais qu'une illusion - comment concilier bonne histoire et liberté, comment structurer un jeu pour laisser place à la liberté, etc.
C'est le vieux débat entre "Raconter une histoire au joueur" et "Que le joueur invente sa propre histoire" finalement.
Raconter une histoire au joueur
Poussé à l’extrême, un "jeu" qui serait à 100% histoire, c'est tout bêtement un film ou un livre. A partir de quel moment est-ce que ça commence à devenir un jeu ?
Eh bien en fait, on peut très bien jouer avec un DVD ou un livre classique. Par exemple, en essayant de deviner la prochaine réplique du personnage avec un DVD. Essayer d'appuyer sur "PAUSE" chaque fois que quelqu'un se touche le nez à l'écran. Trouver une rime à la fin de chaque phrase.
Par contre, ni le DVD, ni le livre ne vous puniront en cas d'erreur. Vos actes n'ont aucune influence sur le déroulement du jeu. Il faut que quelqu'un (ça peut être vous), vous sanctionne, par exemple en notant vos points ou en vous forçant à boire un verre à chaque faute. C'est le maître du jeu, l'arbitre.
En jeux vidéo, on peut prendre l'exemple du freeware Osu! ou de n'importe quel jeu musical. Des images défilent à l'écran et vous devez appuyer sur les boutons au bon moments. A la fin, le jeu vous récompense avec des points.
Dans les exemples ci-dessus, l'histoire est racontée au joueur pendant que celui-ci joue. On pourrait même dire qu'il y a deux histoires parallèles : celle du DVD, et celle du joueur qui s'amuse à appuyer sur pause au bon moment. Si on joue avec ses amis, on peut rigoler à la fois aux blagues du film et à la fois aux erreurs des joueurs.
On peut mélanger ces deux histoires, par exemple avec les QTE : le jeu affiche sa petite cinématique, et vous demande soudain d'appuyer sur la touche "ENTREE". Mais, à la différence des jeux musicaux, si vous ratez, vous n'accédez pas à la suite de la cinématique, ou bien vous accédez à une cinématique différente. L'histoire du joueur influence l'histoire du jeu. Je me rappelle d'un QTE dans RE4, on voit le personnage se faire poursuivre par un gros rocher, et il faut appuyer sur plusieurs touches affichées les unes après les autres à l'écran. Qu'est-ce que j'ai fais ? J'ai esquivé un rocher ? Non. J'ai appuyé sur une combinaison de touches, comme dans un jeu musical, et le personnage sur l'écran a esquivé un rocher. Je n'ai pas réussi à esquiver le rocher, j'ai réussi la bonne combinaison de touche. Les deux histoires s'influencent, mais sont très différentes.
On peut aussi directement choisir ses embranchements sans passer par des QTE. C'est le cas, bien sûr, des livres dont vous êtes le héros mais aussi des films dont vous êtes le héros comme Deliver Me to Hell ou The Outbreak. La grosse différence par rapport à un QTE, c'est qu'il n'y a pas de règles à respecter. Dans tous les jeux cités jusqu'ici, on a un cadre précis à respecter (appuyer sur telle touche à tel moment, trouver une rime...). Dans les jeux types LDVELH, non. Le choix, on le réalise en se basant sur l'histoire, alors que pour les QTE, on pourrait très bien se passer de la cinématique qui se déroule en arrière plan et n'avoir que les boutons sur lesquels appuyer. Bref, le joueur est un peu plus immergé dans l'histoire. Mais finalement, le joueur ne fait que choisir la suite de l'histoire, il n'agit toujours pas. Le jeu est de choisir une suite qui nous plait entre des morceaux d'histoires dont on est le spectateur. En théorie, si les "morceaux d'histoire" étaient très brefs, de l'ordre d'une seconde, et les chois quasi-infinis, on aurait une liberté totale sur le déroulement de l'histoire, mais pour des raisons techniques, ce n'est pas le cas. Les "morceaux d'histoire" sont trop gros, durant ces quelques secondes le héros de l'histoire va faire quelque chose que ne ferait pas forcément le joueur (pour permettre au scénario de retrouve la trame principale). La liberté est occasionnelle (limitée à certains moments de l'histoire) et pas permanente. L'arbitre donne des libertés d'action quand ça l'arrange, et il donne les choix qui l'arrangent : autrement dit, il a un contrôle total sur le déroulement du jeu.
Les derniers jeux de Quantic Dream (Indigo Prophecy/Fahrenheit et Heavy Rain) utilisent ces deux techniques (QTE et choix type LDVELH) qui permettent de raconter une histoire dans un cadre précis tout en faisant participer le joueur de loin et de temps en temps. Mais à la différence des LDVELH ou des films interactif, Heavy Rain propose aussi des phases où le joueur peut déplacer un personnage en temps réel. C'est une différence importante : au lieu d'avoir un maître du jeu qui indique "il est possible d'aller à droite" à certains moments, on peut aller à droite à n'importe quel moment. Et donc ?
Et donc l'histoire du joueur vient parasiter l'histoire du jeu. Alors que l'arbitre ne proposait que des choix en accord avec l'histoire du jeu, le joueur désormais libre de faire quand il veut ce qu'il veut, ne suit pas nécessairement la trame narrative.
Un petit exemple :
On voit très bien dans cet exemple que le joueur ne vit pas la même chose que Véronica. Certes, le joueur est beaucoup plus libre que dans un LDVELH ou un QTE, mais les deux histoires ne sont pas les mêmes : le joueur se déplace en cherchant les interactions alors que Veronica voulait boire un coup et dormir.
Exactement la même chose dans le jeu Caves de Valv et bon nombres de RPG : l'histoire, mais parfois l'univers du joueur et du maître du jeu sont décalés. Par exemple le joueur passe son temps à ressusciter ses morts, mais si le maître du jeu décide qu'un PNJ doit mourir pour le bien du scénario, il meurt. Le joueur fait des quêtes ridicules comme chercher un chat pour avoir un petit bonus alors que le personnage doit sauver le monde.
Alors quoi ? Comment répondre à cette question paradoxale : "Comment raconter une histoire au joueur tout en lui laissant l'impression de la diriger ?"
Soit on est condamné à limiter drastiquement les choix et l'influence du joueur, soit on accepte de raconter un scénario parasité par des phases où le personnage se met à agir de façon totalement illogique ?
Non. Il est possible à la fois de raconter une histoire, et de s'assurer que le joueur agisse de façon tout à fait rationnelle sans le brider dans sa liberté d'action.
Donc voici
Mes réflexions sur la notion d'action, de liberté, dans les jeux-vidéo, le point de vue de quelqu'un qui se frotte aux difficultés de la question (pourquoi la liberté dans les jeux, comment en donner l'illusion - ce n'est jamais qu'une illusion - comment concilier bonne histoire et liberté, comment structurer un jeu pour laisser place à la liberté, etc.
C'est le vieux débat entre "Raconter une histoire au joueur" et "Que le joueur invente sa propre histoire" finalement.
Raconter une histoire au joueur
Poussé à l’extrême, un "jeu" qui serait à 100% histoire, c'est tout bêtement un film ou un livre. A partir de quel moment est-ce que ça commence à devenir un jeu ?
Eh bien en fait, on peut très bien jouer avec un DVD ou un livre classique. Par exemple, en essayant de deviner la prochaine réplique du personnage avec un DVD. Essayer d'appuyer sur "PAUSE" chaque fois que quelqu'un se touche le nez à l'écran. Trouver une rime à la fin de chaque phrase.
Par contre, ni le DVD, ni le livre ne vous puniront en cas d'erreur. Vos actes n'ont aucune influence sur le déroulement du jeu. Il faut que quelqu'un (ça peut être vous), vous sanctionne, par exemple en notant vos points ou en vous forçant à boire un verre à chaque faute. C'est le maître du jeu, l'arbitre.
En jeux vidéo, on peut prendre l'exemple du freeware Osu! ou de n'importe quel jeu musical. Des images défilent à l'écran et vous devez appuyer sur les boutons au bon moments. A la fin, le jeu vous récompense avec des points.
Dans les exemples ci-dessus, l'histoire est racontée au joueur pendant que celui-ci joue. On pourrait même dire qu'il y a deux histoires parallèles : celle du DVD, et celle du joueur qui s'amuse à appuyer sur pause au bon moment. Si on joue avec ses amis, on peut rigoler à la fois aux blagues du film et à la fois aux erreurs des joueurs.
On peut mélanger ces deux histoires, par exemple avec les QTE : le jeu affiche sa petite cinématique, et vous demande soudain d'appuyer sur la touche "ENTREE". Mais, à la différence des jeux musicaux, si vous ratez, vous n'accédez pas à la suite de la cinématique, ou bien vous accédez à une cinématique différente. L'histoire du joueur influence l'histoire du jeu. Je me rappelle d'un QTE dans RE4, on voit le personnage se faire poursuivre par un gros rocher, et il faut appuyer sur plusieurs touches affichées les unes après les autres à l'écran. Qu'est-ce que j'ai fais ? J'ai esquivé un rocher ? Non. J'ai appuyé sur une combinaison de touches, comme dans un jeu musical, et le personnage sur l'écran a esquivé un rocher. Je n'ai pas réussi à esquiver le rocher, j'ai réussi la bonne combinaison de touche. Les deux histoires s'influencent, mais sont très différentes.
On peut aussi directement choisir ses embranchements sans passer par des QTE. C'est le cas, bien sûr, des livres dont vous êtes le héros mais aussi des films dont vous êtes le héros comme Deliver Me to Hell ou The Outbreak. La grosse différence par rapport à un QTE, c'est qu'il n'y a pas de règles à respecter. Dans tous les jeux cités jusqu'ici, on a un cadre précis à respecter (appuyer sur telle touche à tel moment, trouver une rime...). Dans les jeux types LDVELH, non. Le choix, on le réalise en se basant sur l'histoire, alors que pour les QTE, on pourrait très bien se passer de la cinématique qui se déroule en arrière plan et n'avoir que les boutons sur lesquels appuyer. Bref, le joueur est un peu plus immergé dans l'histoire. Mais finalement, le joueur ne fait que choisir la suite de l'histoire, il n'agit toujours pas. Le jeu est de choisir une suite qui nous plait entre des morceaux d'histoires dont on est le spectateur. En théorie, si les "morceaux d'histoire" étaient très brefs, de l'ordre d'une seconde, et les chois quasi-infinis, on aurait une liberté totale sur le déroulement de l'histoire, mais pour des raisons techniques, ce n'est pas le cas. Les "morceaux d'histoire" sont trop gros, durant ces quelques secondes le héros de l'histoire va faire quelque chose que ne ferait pas forcément le joueur (pour permettre au scénario de retrouve la trame principale). La liberté est occasionnelle (limitée à certains moments de l'histoire) et pas permanente. L'arbitre donne des libertés d'action quand ça l'arrange, et il donne les choix qui l'arrangent : autrement dit, il a un contrôle total sur le déroulement du jeu.
Les derniers jeux de Quantic Dream (Indigo Prophecy/Fahrenheit et Heavy Rain) utilisent ces deux techniques (QTE et choix type LDVELH) qui permettent de raconter une histoire dans un cadre précis tout en faisant participer le joueur de loin et de temps en temps. Mais à la différence des LDVELH ou des films interactif, Heavy Rain propose aussi des phases où le joueur peut déplacer un personnage en temps réel. C'est une différence importante : au lieu d'avoir un maître du jeu qui indique "il est possible d'aller à droite" à certains moments, on peut aller à droite à n'importe quel moment. Et donc ?
Et donc l'histoire du joueur vient parasiter l'histoire du jeu. Alors que l'arbitre ne proposait que des choix en accord avec l'histoire du jeu, le joueur désormais libre de faire quand il veut ce qu'il veut, ne suit pas nécessairement la trame narrative.
Un petit exemple :
Vous voyez ce que je veux dire par "parasiter l'histoire du jeu" ? Le joueur veut explorer. Mais Véronica veut dormir. Les deux histoires s'opposent. Ca donne un mélange bâtard. On y est habitué, mais il faut avouer que c'est complètement ridicule."Vendredi soir, 23 h. Véronica tourne et se retourne dans son lit étouffant. Elle décide de se lever pour aller boire de l'eau fraiche. Elle avance droit vers le mur, puis fait un demi-tour sur elle même, puis un tour rapide de l'autre coté. Elle s'avance vers le lit puis reste plantée devant. Elle se retourne. Elle se retourne une deuxième fois. Puis se retourne encore et avance d'un pas zigzaguant vers la sortie de la pièce. Elle reste planté quelques minutes là, les bras ballants. Soudain, elle se met à courir, droit dans un mur, où elle va se cogner avec une petite plainte. Elle se tourne lentement et se dirige vers la cuisine. Sans cesser de marcher, la voilà devant le frigo. Elle attend, sans cesser de marcher sur place. Se décale un peu pour être pile en face du frigo. Véronica ouvre alors le frigo, s'empare de la bouteille fraiche et boit avec plaisir. Elle la repose, puis ferme le frigo. Veronica fait un demi tour sur elle même et va vers les placards. Elle reste devant quelques instants, puis fait de même devant les plaques électriques. Elle se dirige alors en courant vers la télévision. "Je n'ai pas envie de regarder la télé.", s'exclame-t-elle en remuant la tête, "Je vais retourner me coucher." Veronica s'en va alors, toujours en courant, vers la chaine Hi-fi, y reste quelques instants. Elle semble soudain être décidée : d'un pas pressé, elle se rend à la porte d'entrée."Je n'ai pas envie de sortir.", s'exclame-t-elle en remuant la tête, "Je vais retourner me coucher."
On voit très bien dans cet exemple que le joueur ne vit pas la même chose que Véronica. Certes, le joueur est beaucoup plus libre que dans un LDVELH ou un QTE, mais les deux histoires ne sont pas les mêmes : le joueur se déplace en cherchant les interactions alors que Veronica voulait boire un coup et dormir.
Exactement la même chose dans le jeu Caves de Valv et bon nombres de RPG : l'histoire, mais parfois l'univers du joueur et du maître du jeu sont décalés. Par exemple le joueur passe son temps à ressusciter ses morts, mais si le maître du jeu décide qu'un PNJ doit mourir pour le bien du scénario, il meurt. Le joueur fait des quêtes ridicules comme chercher un chat pour avoir un petit bonus alors que le personnage doit sauver le monde.
Alors quoi ? Comment répondre à cette question paradoxale : "Comment raconter une histoire au joueur tout en lui laissant l'impression de la diriger ?"
Soit on est condamné à limiter drastiquement les choix et l'influence du joueur, soit on accepte de raconter un scénario parasité par des phases où le personnage se met à agir de façon totalement illogique ?
Non. Il est possible à la fois de raconter une histoire, et de s'assurer que le joueur agisse de façon tout à fait rationnelle sans le brider dans sa liberté d'action.