je pense que tu te méprends sur ce qu'est réellement l'antispécisme.
J'ai essayé de le définir phénoménologiquement dans mon premier message, mais peut être que vu le rythme du débat c'est possible que j'ai donné au mot une dimension très large.
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| Il est d'abord rigolo de constater la formulation négative du concept, qui se place donc en opposition face au spécisme. Wikipédia nous apprend que c'est dans les années 1970 que le spécisme est apparu, en tant que description d'un phénomène. C'est donc une description très récente de quelque chose à l'œuvre depuis très longtemps. Le mot est aussi teinté d'une connotation qui se veut très péjorative, en l'assimilant au notions de racisme et sexisme : par la construction du mot lui-même, ce n'est pas bien d'être spéciste.
D'autre part, soyons honnête : personne ne s'identifiera comme "raciste" ou "sexiste" : ce sont des termes utilisés par ceux qui critiquent ces comportements. Un raciste dira qu'il est "défenseur de la pureté de l'héritage génétique", un sexiste qu'il est "pour une organisation structurée des rôles sexués". Ainsi, de la même manière personne ne s'est jamais identifié en tant que "spéciste", et c'est un terme qui se veut critique, stigmatisant, réducteur. Défendre le point de vue spéciste, c'est donc tomber dans le piège de la terminologie.
Donc être spéciste ce n'est pas bien, personne ne se reconnaîtra jamais comme "spéciste à 100%". Qu'est-on alors si l'on n'est pas spéciste ? Par analogie avec le racisme, ce n'est pas parce que je ne suis pas défenseur de la traite négrière que je suis pour autant partisan de SOS racisme. Il y a dans le second une forme d'engagement qu'il n'y a pas dans le premier. Le terme d'antispécisme décrit un processus actif, un engagement du sujet. De la même manière que l'antiracisme est une lutte, un combat pour gagner quelque chose, l'antispécisme se place dans un affrontement acharné. L'objet de sa lutte, son ennemi, et ses moyens, sont donc défini entièrement par l'antispécisme. Il serait faux de reconnaître un porte-parole du spécisme. En revanche, nombreux se revendiquent antispécistes et interfèrent en son nom. L'antispécisme est un activisme, il n'existe que dans l'action. |
Pour résumer, le spécisme c'est hiérarchiser les espèces dans leur valeur morale. L'antispécisme, c'est combattre le spécisme. J'ai tort ?
Peut être c'est la définition négative qui te gène. Mais le terme étant négatif (anti-spéciste), je pense que l'on ne peut pas passer outre.
pour affirmer que les noirs sont l'égal des blancs en ce qui concerne le droit au statut moral ?
il s'agit juste de prendre en compte leur intérêts autant que les notres (= de leur accorder un statut moral). D'inclure les animaux dans le concept "la liberté de chacun s'arrête là où commence celle d'autrui".
C'est intéressant que tu utilises cette expression de statut moral. Je ne la connaissais pas, et en cherchant sur google je ne trouve que des références parlant d'embryon, de robots, d'animaux ou de plantes sur des blogs parlant d'éthique. Si je comprends bien, accorder un statut moral c'est les considérer comme des personnes à part entière, comme dans le genre d'expression très vague du style "chacun a droit à l'éducation", où le "chacun" est très flou. D'accord.
Néanmoins tu te mords la queue. Je m'explique : où est ce que tu fais la distinctions entre ton exemple du "droit de vote" et "le droit de ne pas vivre dans des conditions épouvantables et de ne pas finir abattue à peine entrée à l'âge adulte" ? Quoi que tu répondes à cette question, ça veut dire que tu fais une distinction entre les droits des animaux et les droits des humains, en accordant à ces derniers certains droits que les premiers, donc tu es spéciste.
En revanche, si tu dis qu'il n'y a pas de distinction entre hommes et animaux, alors tu es bien antispéciste. Mais tu accordes aussi aux animaux le droit à l'éducation, le droit à la propriété, le droit au mariage et tutti quanti. Donc tu es un mec chelou.
Tu comprends mieux mon appréhension envers ce terme d'antispécisme ? Il est plein de contradictions intrinsèques. Il est certainement bien plus logique et concret de se dire contre la souffrance animale que antispéciste.
Et puis, un exemple : ai-je besoin de connaître en détail les habitudes des noirs américains, les us et coutûmes des tribus du Kenya, le fonctionnement de la société congolaise... pour affirmer que les noirs sont l'égal des blancs en ce qui concerne le droit au statut moral ?
J'étais certain que tu dirais ça. Je te réponds : oui, tu ferais mieux de le savoir.
D'une part, c'est super intéressant de se rendre compte que rien n'est partout pareil, et que ce qu'on pense aller de soi ne va précisément pas de soi. C'est particulièrement frappant quand on parle d'égalité des sexes, de religion, mais aussi d'égalité des ethnies. C'est Claude Lévi Strauss qui a mis en évidence le principe d'ethnocentrisme, qui est en gros que chaque ethnie se considère comme la civilisation, et dédaigne toutes les autres en tant que barbares.En affirmant que tu n'as pas besoin de savoir ce qui se passe ailleurs pour donner à tout le monde les mêmes droits, tu tombes dans ton propre piège.
En effet, les droits que tu penses distribuer avec sagesse peuvent très bien être vus comme absolument aberrants et scandaleux dans d'autres sociétés. Par exemple, si tu dis "je pense que les femmes devraient être payés autant que les hommes pour un même travail", "je pense que chacun devrait exercer librement sa religion", "je pense que un blanc, un noir c'est pareil", tu t'attires sans le savoir les foudres de plusieurs millions (!) de personnes d'un coup. En voulant bien faire et respecter autrui, tu entres en fait en conflit et en affrontement avec autrui. C'est la problématique de base de l'universalisme et de l'égalitarisme : en affirmant l'égalité de tous, tu nies la différence de chacun. Je n'invente rien pour le coup, c'est du réchauffé ce que je dis.
D'autre part, si malgré tout tu veux t'engager dans l'entreprise périlleuse (on vient de le voir), mais pas impossible en principe d'accorder à tout le monde le même "statut moral" (comme tu dis), ce serait au moins le minimum d'étudier les différentes sociétés pour espérer trouver la "substantifique moelle" (pour paraphraser Rabelais) qui constituerait la base des bases, l'essence absolue de l'être humain. Je parlais de Lévi Strauss : c'est précisément un ethnologue au travail prolifique qui a étudié une quantité astronomique de cultures. Tu te doutes que d'après sa conclusion (l'ethnocentrisme), il n'est pas vraiment d'accord avec l'énoncé des droits de l'homme (fondamentalement ethnocentrés eux aussi). Je prends un exemple simple : la propriété privée, ce n'est pas quelque chose qui existe partout. Par exemple, ce principe n'existait pas chez les Indiens d'Amérique. Les pionniers américains se sont par la suite targués de ce droit pour affirmer leur propriété des États Unis, au dépens des Indiens. On voit comment on a introduit artificiellement ce droit dans une culture qui n'en faisait pas usage et ne semblait pas en avoir besoin.
Imagine alors pour les animaux ! Tu affirmes
"la liberté d'une vache de ne pas vivre dans des conditions épouvantables et celle de ne pas finir abattue à peine entrée à l'âge adulte passent avant mon droit à avoir le petit plaisir de manger de la viande." Mais qu'est-ce que te répondrais un animal carnivore qui tuerait une vache n'ayant pas atteint l'âge adulte, du style un loup des Pyrénées ? Un ours ? Il serait très certainement en désaccord avec toi et estimerai que manger de la viande pour lui n'est pas un plaisir, mais une nécessité. Quelle solution ? Retourner à un âge archaïque où le lion aurait le droit de manger uniquement la viande qu'il chasse ? Problème, tu n'assures plus rien ni personne et ta déclaration des droits fondamentaux humains et animaux est complètement inutile. Dommage.
Je prévois quelques questions :
"Mais Arista", tu critiques les droits de l'homme et tu dis qu'ils n'ont pas de fondement, ça veut dire que tu es raciste ?" Au contraire. Puisque je reconnais le droit de chacun à la différence, je laisse chaque culture converger vers où elle veut. Puissent les zoulous être les zoulous si c'est leur kiff. Puissent les skinheads être les skinheads si c'est leur kiff. Puissent les français être les français si c'est leur kiff. C'est un relativisme. Ça marche aussi dans l'autre sens : puissent les anglais être des cambodgiens, puissent les vietnamiens être des français. Ok, c'est pas très engagé, je confonds culture et nationalité, mais on voit le délire : chacun fait ce qu'il lui plaît, c'est pas très grave au final. De plus, aujourd'hui nous sommes dans un contexte de mondialisation, sans doute assiste-on à une sorte de réductions des aspérités qui différenciaient entre chacune des cultures, des ethnies, des sociétés, des économies... La différence n'est plus aussi drastique, ce n'est pas très grave de faire des amalgames entre blancs et noirs. Donc tant pis.
"Mais AristA, tu dis qu'il faut se renseigner avant de prendre les décisions, et toi tu ne te renseignes pas et tu en prends sur les animaux et sur les hommes ?" Oui. Je m'appuies ici sur le pragmatisme de Descartes : dans le doute, je respecte les lois de mon pays. Là je suis dans le doute vis-à-vis des animaux. Donc je respecte les lois de mon pays et ne donne pas à mon chat les clefs de ma maison. Ok. Néanmoins, une fois que l'on a réfléchi et que l'on ne doute plus ? Et bien j'ai réfléchi, j'ai abouti à plusieurs contradictions, ça ne me donne pas plus envie de donner un statut moral aux animaux. L'hypothèse de départ était fausse, retour au statu quo et je reste dans le respect de la législation nationale. Ceci répond à ta remarque :
J'ajoute que les scientifiques d'aujourd'hui connaissent bien mieux les animaux que les (pseudo)scientifiques d'antant.
Dans le doute rationnel, je ne change rien. C'est le poids de la tradition, peu importe qui les a faite. Attention ! Cette situation n'est pas pour autant éternelle. Il ne faut pas hésiter à les remettre en cause, les faire évoluer. Mais si l'on aboutit à des contradictions intrinsèques, sans doute la mutation que l'on veut apporter n'est pas des plus pertinentes.