Je suis sur le cul. Sur le cul de voir que l'on préfère parler de l'OM, que l'on préfère parler de Jean-Paul Guerlain dans les médias, plutôt que d'un fait de société véritablement révélateur du monde moderne. Quatre mineurs ayant entre 15 et 17 ans ont tué un lycéen de 17 ans par peur que ce dernier les dénonce pour un cambriolage s'étant déroulé début mars. Ils l'ont abattu de deux balles dans la nuque après l'avoir attiré en bordure de forêt et l'avoir fait asseoir sur un rondin de bois. Ils ont ensuite brûlé le corps après l'avoir aspergé d'essence. La gravité des faits, la futilité des motivations, l'âge des personnes mises en cause, la préméditation du meurtre... L'ensemble peint un tableau noir, très noir. Ce n'est pas qu'un fait divers. C'est bien plus que ça. Que des mineurs se mettent à tuer avec préméditation pour aussi peu... C'est assez effrayant, triste, abasourdissant. De plus, ce genre de faits ne m'aurait pas étonné dans un pays comme les Etats-Unis où l'on peut voir certains gangs comme le MS-13, où des gosses de 8 ans sont engagés pour tuer... Mais qu'on commence à voir ce genre de trucs en France... C'est vraiment effrayant.
J'y vois trois faits de société majeurs, qui sont liés entre eux :
- Le bouc-émissaire, concept de René Girard.
- L'expérience de Asch.
- "L'animalisation" de l'adversaire, concept de Charles Patterson.
La suite de mon post risque d'être assez long, même en essayant d'être synthétique. De plus, certains penseront sûrement que je vois trop loin, que je me complique la vie. Ils ont peut-être raison, mais je pense quand même que ça vaut le coup d'essayer de comprendre les dessous de cette affaire.
Brève explication de chacun des trois faits de société dont j'ai parlés plus haut :
- René Girard, très grand essayiste français, a fondé une théorie nommée théorie mimétique, liée au désir. Pourquoi mimétisme ? Parce que tout désir est l'imitation du désir d'un autre. Quand deux personnes souhaitent une même chose, cela crée des jalousies, des tensions. Par la suite, d'autres personnes souhaitent la même chose que les deux premières, et l'objet même du désir est vite oublié. Les rivalités mimétiques se propagent jusqu'à arriver à ce que René Girard appelle la crise mimétique, c'est-à-dire "la guerre de tous contre tous". Comment faire revenir la paix ? Le tous contre tous devient le tous contre un. Sinon, c'est la destruction du groupe. Voilà quel rôle prend donc notre "bouc-émissaire". Il devient responsable de la crise mimétique, de toutes ces tensions. L'élimination du bouc-émissaire fait alors tomber l'appétit de violence du groupe, mais seulement temporairement. Ensuite, le cycle revient au départ. Voilà l'origine du sacrifice rituel.
- L'expérience de Asch est un peu difficile à expliquer rapidement. Je mets l'explication de Wikipédia, assez claire et courte :
Cette expérience met en jeu un groupe composé de 7 à 9 « compères » (des complices du chercheur) et d'un sujet « naïf » (le véritable sujet de l'expérience). La tâche proposée au groupe est la suivante : il va s'agir de comparer un segment témoin à trois autres, parmi lesquels un seul a la même longueur que le segment témoin.
Comme on le voit, cette tâche est d'une simplicité enfantine et devrait se solder par une performance avoisinant les 100 % pour tous les sujets. Chacun d'entre eux répond à tour de rôle et à haute voix, le sujet « naïf » étant placé en avant-dernière position. On réalise dix-huit essais ; dans douze de ces essais, les « compères » donnent une « mauvaise » réponse de manière unanime. Les résultats montrent que dans cette situation, 33 % des sujets « naïfs » donnent une réponse conforme à celle des « compères ».
- On compare l'adversaire humain à un animal pour ne pas avoir de remords à le tuer, on le déshumanise dans un sens. Très utilisé dans les guerres et les génocides. Par exemple, le génocide des amérindiens, la guerre des Philippines, le Viol de Nankin, ou même...
En 1991, pendant la guerre du Golfe, les pilotes américains comparaient les tirs sur les soldats iraquiens à des tirs sur des dindes ; les civils qui couraient s'abriter n'étaient que des « cafards ».
Le lien entre ces trois faits de société et le meurtre d'Alexandre Castado (le jeune lycéen tué) me semble assez marqué : il était persécuté depuis un certain moment par ce groupe. L'acte de ce groupe a été motivé par plusieurs faits, et non l'unique raison qui a été évoquée :
- Ils cherchaient un bouc-émissaire, un responsable aux probables embrouilles qu'ils ont eu suite au cambriolage.
- Ils s'étaient motivés entre eux pour passer à l'acte. La pression était sûrement présente pour celui qui a tué, à la fin. Pression qui était liée au risque de décevoir le reste du groupe...
- Ils ont imaginé que leur victime n'était qu'une pauvre merde, qu'un animal dans la représentation que s'en fait la plupart des gens, et que du coup, ça justifiait plus de le tuer qu'une personne "importante". Chose qui m'a attristé, j'ai entendu Anna Castado, la mère d'Alexandre Castado, dire "Il a été tué de sang-froid, comme un chien". Les expressions révèlent souvent beaucoup de choses. Comme si les chiens méritaient d'être tués de façon misérable (de la même façon que "crever comme un chien"...).
De plus, je crois que cela est lié aussi à l'augmentation de la population. Plus on est nombreux, plus les deux premiers points s'entrecroisent : tensions entre les gens, désignation d'un responsable, et pression du groupe sur chaque individu du groupe. Mais ce qui m'épouvante, c'est la cruauté dont les gens sont aujourd'hui capables. Même chez des gens qui n'ont pas 18 ans. Les gens préfèrent écouter des sentiments égoïstes à utiliser leur raison pour faire preuve d'un peu de discernement. Le groupe avait décidé de répartir les tâches entre chaque membre du groupe : l'un était chargé de l'arme, un autre de l'essence, le troisième de la victime... Les deux balles ont d'ailleurs été tirées par deux personnes différentes, et c'est la seconde balle qui a tué... La personne qui l'a tiré n'aurait probablement tué personne s'il n'y avait pas eu cette pression du groupe, s'ils n'avaient pas été quatre, ou même si elle avait fait preuve de plus de réflexion. J'espère juste que notre société ne va pas continuer dans cette direction, mais j'ai bien peur que cela soit idyllique malheureusement... La vie, aujourd'hui, a perdu toute sa valeur, et pas au profit d'un ciel qui serait meilleur.
Et merde.