Hop, quelques notes. Ca servira probablement à la rédaction d'un article. Mais l'idée principale resterait la même : opposer divertissement et ennui, montrer ce que l'ennui a de bon, remettre en question l'idée qu'un jeu est raté, malgré ses autres qualités, s'il n'est pas "fun". Je recentrerais sans doute sur Another World, très
relou à jouer, mais si important dans l'histoire du jeu-vidéo.
Les jeux-vidéo français ont assez bonne réputation dans le monde, mais remportent, à défaut d’un succès commercial, un succès davantage d’estime. Comment expliquez-vous cela ? A la fois cette spécificité française, comment la définiriez-vous, et est-elle d’après vous incompatible avec un succès commercial ? L’honnêteté me pousse à dire, que – pour m’exprimer en termes simples – plusieurs jeux français, tels que Big Bang Mini, Maestro Jump in Music ou Soul Bubble, m’ont tous les trois paru intéressants, mais d’un fun limité, et à vrai dire je n’ai terminé aucun des trois malgré le respect que j’ai pour eux, et qui ne doit pas être de pur chauvinisme puisqu’ils ont obtenu une reconnaissance en Amérique du Nord.
J’ai employé les termes « intéressant » et « fun », volontairement grossier pour une première approche. « Intéressant » signifiant sous ma plume « original d’un certain point de vue » (du point de vue narratif, des mécaniques de jeu, etc.). Et « fun »…
Les jeux français… ne sont pas funs. Ajoutons à cela Heavy Rain, Flashback, Another World. Mais un jeu doit-il être fun ? Mes auteurs préférés, figurez-vous, m’ennuient : Julien Gracq pour ne nommer que lui emblématiquement. Au cinéma, que ce soit Bresson, ou d’autres, de même. Sont-ce de mauvais livres, de mauvais films ? Non pas : l’ennui est prétexte à autre chose, plus essentiel que le divertissement, et dispose à un état de perception accru, exactement de la manière que le silence rend sensible au moindre bruit. On me faisait remarquer que Heavy Rain proposait au joueur d’accomplir des actions sans intérêt, comme se maquiller, ranger ses courses, que c’était d’une aberration incontestable. Ce à quoi j’ai répondu – cela vous paraît-il juste ? – que c’est là un effet de réel, tel que l’a défini Roland Barthes au sujet de Flaubert (
http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_de_r%C3%A9el), mais transposé aux jeux-vidéo. J’ai ajouté que le mérite de David Cage est de contribuer à la dissociation des notions de fun, et celle, plus fondamentale, d’interactivité. Un jeu-vidéo n’a pas à être fun : c’est une affaire d’interactivité, à strictement parler, et chaque game designer est libre de charger du sens qu’il veut cette interactivité. Pour parler plus clairement, je croyais naïvement que le fun était le « degré zéro » (pour citer de nouveau Roland Barthe, de manière fortuite, il y a bien longtemps que je ne l’ai pas lu), le degré zéro, disais-je, de l’interaction, puis que d'autres émotions pouvaient naître, mais en plus. Or j’affirme ici que l’interaction, à son degré zéro (le simple plaisir de faire quelque chose) n’est lié à aucun sens et à aucune émotion en particulier. C’est-à-dire que les jeux-vidéo français n’ont pas à rougir d’être ennuyeux – peut-être même est-ce là une marque de fabrique (!).