| - On dirait le symbole sacré de Miaris. Sans doute tracé par un prêtre ou un paladin qui aura voulu sceller le passage. Je crois que ça se confirme, c’est sûrement un donjon là-dessous.
- Miaris ?
- Déesse de la charité, et de tous ces trucs. Mais j’y songe, les prêtres gravent souvent des pièges magiques pour interdire l’accès à certains lieux, pourrais-tu détecter de tels pièges ?
- Je ne sais pas, répondit Morgoth, je vais essayer.
Il utilisa son cristal et lança son sortilège, mais sans rien déceler.
- Bon, à l’attaque.
Le Chevalier Noir avait gardé son épieu, et il s’en servit comme levier afin de dégager l’obstacle. Vertu avait reculé et encoché une flèche au cas où quelque chose sortirait brutalement des entrailles de la terre, et Morgoth, dont la curiosité avait eu raison de la crainte, se demandait déjà quels sortilèges il pourrait employer.
Pourtant, rien ne sortit du trou ovale large de deux pieds, si l’on excepte des remugles désagréables de matière en décomposition, de champignons et de poussière humide.
- Hum... ça sent bon le donjon. Qui passe en premier ?
- Ben c’est toi la vol... la... euh... enfin, qui détecte les pièges quoi.
- Ouais, comme d’habitude, les sales boulots c’est pour les femmes. Allez poussez-vous, pleutres, que je m’y mette.
Et sans plus tergiverser, Vertu, laissant son sac derrière elle mais sans se départir de son épée, se glissa dans le boyau, la tête la première. Morgoth s’émerveilla de son adresse à se faufiler rapidement dans ce passage peu engageant, sans faire plus de bruit qu’un renard ou une taupe. Bientôt, la rusée voleuse fut hors de vue et d’ouïe, et l’attente commença. De longues minutes, les deux compagnons attendirent, le cœur battant, Morgoth se morigénant d’avoir laissé partir son amie. Marken, voyant sa mine déconfite, lui chuchota à mi-voix des paroles rassurantes.
- Elle doit être tapie quelque part, attendant que sa vue s’adapte à l’obscurité. Elle connaît son métier, tu peux lui faire confiance.
Morgoth acquiesça d’un hochement de tête grave. Quelques minutes passèrent encore, avant qu’un grattement ne se fasse entendre. Marken porta la main à son sabre et fit signe à Morgoth de reculer. Mais ce fut bien la main de Vertu, aux doigts fins et habiles, qui émergea du trou, suivie par le reste de sa personne qui était fort boueuse. Elle leur fit part de sa découverte.
- La boule creuse gentil jusqu’à un petit boldo, genre fumette. Sûrement une mélane. J’ai louché un tas-d’moure, deux ballantes et queue de strige. Y’a d’la sauge jusqu’à là, ça fait gris qu’la place est morte.
- Eh ? Béa Morgoth, interdit.
- Toi, faudra qu’on t’affranchisse un peu sur le patois d’aventure, sinon tu vas passer pour un béjaune toute ta vie. Je disais donc que ce tunnel descend en pente assez raide jusqu’à une petite pièce, une sorte de cuisine. C’était apparemment un conduit de cheminée. J’ai vu tout un bric-à-brac, deux portes, et rien qui vive. Vu la poussière accumulée, ça fait belle lurette que tout ça n’a pas été utilisé.
- Oui, commenta Marken, ça se confirme, c’est bien un donjon. Des objets de valeur ?
- Difficile à dire, il n’y avait pas de lumière. Je n’ai rien touché, de peur de me faire entendre par des fâcheux.
- Bien bien. Alors je vous propose un plan de marche classique, Vertu d’abord, moi ensuite, Morgoth fermant la marche.
- Allons, s’emporta Morgoth, je ne suis pas un lâche, que ma jeunesse ne te trompe pas. Je suis tout disposé à passer devant si c’est mon tour.
- Ralalalala, mais on ne t’a donc jamais rien dit des donjons ?
- Euh... non, pas grand chose mais...
- Bon, Vertu, explique-lui au moins le début du commencement du métier.
- Ton courage ne fait pas de doute dans notre esprit, Morgoth, et si Mark t’a proposé de fermer la marche, ce n’est pas par fierté virile, mais par souci d’efficacité. En effet, tu n’es pas un combattant, tu n’as pas d’armure, peu d’armes et tu ne saurais de toute façon pas t’en servir, et tu n’as pas la vigueur d’un guerrier qui s’est entraîné toute sa vie, c’est l’évidence même. Si tu passais devant, en cas de danger, tu serais en première ligne, et tu succomberais tout de suite. Or sache que malgré ses faiblesses, le sorcier est souvent le membre le plus redouté des compagnies d’aventuriers, il peut à lui seul transformer une défaite certaine en victoire éclatante ou trouver une échappatoire aux situations les plus désespérées, comme tu nous en as d’ailleurs donné l’illustration au monastère. C’est donc le sorcier, plus que tout autre membre du groupe, qu’il faut protéger, pour le bien de tous. Je pensais qu’on apprenait ces choses là dans ton école.
- Dit ainsi, ça paraît logique. On apprenait beaucoup de théorie, dans mon école. Je vois maintenant qu’il y a un monde que je n’ai pas exploré, celui de la pratique.
- Sois sans crainte, tu apprendras vite. En tout cas, ne te formalise pas si on te fait passer dans les derniers, c’est une mesure de prudence, non une brimade.
- Bien, tu me rassures. Tu as fait remarquer, à juste titre, que je ne savais pas me battre. Penses-tu que je pourrais apprendre cela aussi ?
- Tu es raisonnablement bien bâti, avec de l’entraînement tu pourrais faire un combattant honorable, mais je ne peux pas te conseiller de t’y consacrer à plein temps. Tu dois savoir que la science des armes est un métier complexe, peut-être autant que celui de la magie. Devenir un guerrier, c’est long et difficile, tu aurais avantage à privilégier le développement de tes dons de sorcier. Mais nous reparlerons de tout ça. Au travail, la richesse nous attend.
Le moins que l’on puisse dire est que Morgoth ne se trouvait pas à son aise. Certes il était plus mince que Marken, qui était passé en premier par l’orifice, mais il n’avait pas l’habitude de ces exercices de souplesse et progressait avec difficulté. Qui plus est, le fait de se retrouver ainsi coincé de toute part entre des parois étroites, compressé par la poigne implacable de la roche, sans visibilité aucune, sans moyen de fuir ni même de faire demi-tour, lui nouait l’estomac de façon déplaisante. Cela faisait des semaines qu’il errait dans la campagne, en compagnie de Vertu puis du Chevalier Noir, et la crainte de rencontrer des créatures hostiles et des périls soudains lui était devenue familière, mais maintenant, il était de plus tenaillé par la terreur que la roche se referme sur lui, le condamnant à une mort lente et anonyme dans les ténèbres. Il se demandait bien quelle mouche l’avait piqué pour accepter de ramper comme un ver dans un tel boyau, et dire qu’il s’était proposé pour passer en premier, le sot ! Maintenant, c’était trop tard, il fallait poursuivre son chemin. Vertu avait dit vrai, le tunnel descendait dans la roche calcaire avec une pente assez marquée, qui pour l’instant facilitait la progression, mais la rendrait d’autant plus difficile au retour. Les parois bosselées s’élargissaient par ci, s’étrécissaient par là, et partout suintaient d’une humidité malsaine dont profitait quelque espèce de fungus pour se développer. Notre sorcier finit par prendre son parti de sa situation, et faisant preuve de volonté, progressa pouce par pouce, prise par prise, concentré sur son but, sans songer plus qu’il n’était nécessaire au reste du monde. Puis soudain, la pente s’accentua jusqu’à atteindre la quasi-verticale, et sa préoccupation ne fut plus de progresser, mais de s’abstenir de progresser trop vite.
Fort heureusement, Marken et Vertu avaient anticipé la chute de leur compagnon inexpérimenté, et l’avaient saisi avant qu’il ne se fende le crâne par terre.
- Merci...
- Tshhhhh... pas un bruit malheureux.
Il faisait noir comme dans une to... comme dans un four, se dit Morgoth. Au moins n’était-il plus gêné aux entournures, mais il n’osait bouger, ni tâtonner, de peur que sa main ne rencontre la fourrure sale ou la griffe gluante de poison de quelque monstre tapi dans l’obscurité. Lorsque Vertu était descendu en éclaireur, elle n’avait emporté aucun moyen d’éclairage, et il se demandait comment elle avait fait pour voir que la place était sûre, sans doute y avait-il encore un mince filet de lumière qui filtrait par le boyau. En levant la tête, il lui sembla en effet entrevoir une lueur blafarde et fantomatique, mais peut-être s’illusionnait-il. Par souci de discrétion, Marken avait éteint sa torche, mais Vertu avait conservé, dans un petit brasero portatif en cuivre, quelques braises qui en étaient tombées et les avait alimentées en combustible. Elle brandissait maintenant le modeste luminaire, qui était suffisant pour leur dévoiler les contours de la pièce et son mobilier, tout en restant assez discret pour qu’un observateur situé dans une pièce voisine ne remarque pas le rai de lumière filtrant sous la porte. Tout en prenant connaissance de ce qui l’entourait, Morgoth se félicita d’avoir des compagnons aussi expérimentés.
Il se trouvait dans une grande cheminée, les pieds dans un tas de gravats qui étaient logiquement le reste charbonneux d’un feu éteinte depuis des lustres. Du manteau de la cheminée, en bois fort, il ne restait qu’un madrier achevant de pourrir sur le sol et quelques clous de bronze ouvragés, qui avaient eu une vertu décorative. La cheminée occupait un coin de cette pièce creusée à même la rocher, et qui mesurait trois pas de large sur cinq de long environ. Les débris d’une table gisaient contre le plus long mur, on aurait dit de prime abord qu’elle avait été brisée en son milieu par le coup de poing de quelque colosse, mais un examen plus attentif montrait que le bois était tordu et mangé, indiquant que le meuble n’avait cédé qu’au passage du temps et à la force de son propre poids. Entre les deux pans de la table qui maintenant formaient un V s’étaient amoncelés des restes de bouteilles et de fioles de contenances et de formes variées, pour la plupart brisées, que la poussière avait fédéré en un amas indistinct. De tels restes de verre, encore plus fragmentés, jonchaient le sol sous le mur situé en face de la table, trois marques horizontales à hauteur d’homme étaient tout ce qui restait des trois étagères superposées qui, elles aussi, avaient succombé à l’humidité et aux larves xylophages. Le mur du fond était occupé par une porte de bois toujours en état, barrée d’un épais madrier, et contre laquelle on avait glissé un lourd coffre ferré qui semblait encore solide. Une deuxième porte, sans madrier ni coffre mais de conception semblable, trônait juste en face de Morgoth. Sur la portion de mur latéral laissée libre par la cheminée, divers instruments de fer rouillaient, sinistres, encore accrochés à leurs clous, d’autres étaient déjà tombés dans la poussière. Morgoth reconnut les instruments en question, et en informa Vertu, qui déjà s’intéressait aux débris de verre par terre.
- Ce n’est pas une cuisine, murmura le sorcier, c’est le laboratoire d’un sorcier ou d’un alchimiste.
- Tu es sûr ? C’est excellent, nous trouverons sans doute des potions et des parchemins à foison.
- Dans ce coffre peut-être ?
- Je le garde pour la fin. Reste bien calmement ici, ne touche à rien, et observe comme nous nous y prenons pour déceler les pièges cachés.
Et tel un apprenti, Morgoth observa, attentif aux gestes de ses maîtres. Mark et Vertu progressaient très lentement, l’arme au poing, piquant soigneusement le sol meuble du bout de leur lame là où ils comptaient poser le pied. Ils se gardaient de toucher quoique ce soit, s’accroupissant pour examiner à courte distance ce qui attirait leur attention. A un moment, Vertu tira un linge d’une de ses multiples poches et en entoura sa main gauche, qu’elle utilisa pour ôter, un à un, quelques uns des tessons tombés de la table et les déposer à proximité, triés en deux petits tas bien propres. Elle y parvint sans jamais faire tinter le moindre morceau de verre, et bientôt, les fragments non recouverts par la poussière grise furent mis à jour, reflétant par intermittence les clins d’œil des brandons écarlates. Morgoth nota que l’un des tas regroupait les quelques fioles et cornues qui étaient restées intactes après leur glissade, l’autre les rebuts. De son côté, Marken avait fini de sonder le sol et examinait maintenant les murs avec minutie. Parfois, il pressait le bout de son épée contre quelque irrégularité de la roche qui avait attiré son attention, parfois il tâchait de suivre sur le plafond le cheminement d’une veine minérale, à la recherche d’une imperfection trahissant la présence d’une éventuelle chausse-trappe.
Mais alors qu’il passait devant Morgoth, qui commençait à s’ennuyer ferme, le Chevalier Noir s’arrêta brusquement. Il examina une portion du mur latéral située à hauteur de hanches, près des instruments suspendus, puis un petit monticule de terre adossé à la paroi rocheuse, juste en dessous. Il tourna alors les talons pour faire signe à Vertu de le suivre, et lui montra le mur. Morgoth s’étant approché, il put voir ce qui avait attiré l’attention du guerrier, une série de marques discrètes, des rainures qu’un observateur peu attentif aurait pu prendre pour de simples coups de burin mal portés. Toutefois, à la lumière du brasero, il voyait maintenant qu’on avait sciemment gravé deux signes avec une pointe quelconque. Le premier figurait un polygone ou un cercle grossier, dont le côté gauche se prolongeait par un long segment de droite vers le haut. Le deuxième hiéroglyphe avait la forme d’un angle droit, au fond duquel était blotti un petit quart de cercle qui en marquait l’ouverture. Tandis que Vertu examinait plus attentivement le mur et le monticule, Marken expliqua sa trouvaille.
- Les aventuriers ont un langage par signes, une écriture secrète et très ancienne qu’ils utilisent généralement pour annoter les cartes et les plans. Le signe de droite signifie une recommandation, un conseil, probablement laissé par un de ceux qui nous ont précédé. Peut-être même celui qui avait fait le tas de pierre, bouché l’entrée et gravé le signe de Miaris. Le signe de gauche nous parle d’un recoin, d’un angle, comme il n’y a pas d’autre précision, nous pensons qu’il s’agit de l’angle le plus proche, celui que fait le mur avec le sol. Regarde le petit tas de terre juste dessous, c’est sûrement ça.
Morgoth opina, jugeant que décidément, il avait bien des choses à apprendre. Vertu estima, pour quelques raisons qui échappèrent au sorcier, que l’éminence ne recelait pas de piège, et elle se mit en devoir de creuser, utilisant pour ce faire une sorte de spatule qu’elle avait décroché du mur. L’objet qu’elle déterra n’était pas profondément enfoncé dans la couche de terre meuble, tout juste quelques centimètres. De prime abord, c’était long comme un avant-bras, large comme une main les doigts joints, épais d’un pouce, et emmailloté dans un linge noir d’aspect répugnant, et Morgoth craignit un instant qu’il ne recèle quelque macabre relique. Aussi fut-il soulagé lorsqu’elle dévoila une plaque de cuivre courbe. Celui qui avait caché la plaque à leur attention avait pris le soin louable de l’oindre d’huile avant de l’envelopper un tissus naphteux, ce qui l’avait plutôt bien protégé de la corrosion, même si ça et là pointaient quelques traces de vert-de-gris. Il devait s’agir d’une pièce ornementale d’armure, dont la face externe représentait un lion rampant, mais c’est l’avers qui intéressa nos héros, une surface polie sur laquelle une bonne âme avait inscrit, en caractères anguleux et sans fioritures calligraphiques, l’avertissement suivant :
« Le Secret des Dieux est interdit aux mortels. Le Divisé a payé cher pour l’apprendre, mes compagnons, plus chanceux, sont morts avant de le comprendre. Toi qui le cherche, fais demi-tour. »
Suivaient deux initiales, C.S., et un nombre en vieux numéraire Stangien, 733.
- C.S. est sûrement l’auteur de ces mots, commenta Vertu à mi-voix, et 733 l’année. Probablement 733 selon le calendrier Miariste, qui n’a plus cours dans ces régions, ça fait donc cent quarante ans environ. A l’époque, la contrée était un peu plus civilisée que maintenant, et le clergé de Miaris était florissant.
- Et ça veut dire quoi ?
- Apparemment, un truc appelé « Secret des Dieux » est caché quelque part dans ce donjon, et c’est sensé attirer les aventuriers. Je crois qu’on est sur un gros coup. C’est quoi à votre avis, le Secret des Dieux ?
- Si je le savais, intervint Mark, je me prélasserai dans l’Olympe avec une nymphe à gros nichons de chaque côté et une coupe d’hydromel à la main(2), je ne me ferai pas chier à ramper dans ce trou merdeux. Moi ce qui m’inquiète, c’est surtout cette histoire de « Divisé ».
- C’était peut-être un compagnon de celui qui a laissé ce mot, ou bien le constructeur du donjon... on trouvera sûrement d’autres indices plus loin, rangeons ceci et poursuivons les fouilles. Viens voir ce que j’ai trouvé et dis moi ce que tu en penses.
Tandis que Mark reprenait silencieusement son inspection, Morgoth suivit Vertu jusqu’au petit tas d’objets qu’elle avait constitué. Elle prit un flacon de verre constitué d’un bulbe surmonté d’un long col, bouché par de la cire noire, et à demi rempli d’une huile sombre. Avec peine, le sorcier descella la cire, prenant grand soin de n’en faire tomber aucun fragment à l’intérieur du flacon. Puis il huma, sans trop en respirer cependant, l’odeur qui s’échappait, qu’il reconnut immédiatement. Par précaution, il en fit tomber deux gouttes sur le plat de sa main gauche et dessina de son index droit une rune simple qui, miracle, s’évanouit aussitôt qu’elle fut achevée.
- De la Nullencre, utile à confectionner certains parchemins.
- Combien ça vaut ?
- Cher, c’est importé des Iles Boréales. Je dirais dix ducats, vu la quantité.
- Splendide, et ceci ?
Mark, qui avait achevé son inspection, vint bientôt en renfort, ce qui permit de travailler à la chaîne. Il avait déchiré des lanières de sa chemise, et confectionnait des bouchons pour clore les récipients que Vertu ouvrait et que Morgoth examinait. Au total, ils mirent à jour sept fioles, la nullencre donc, du soufre un peu déliquescent « mais c’est pas grave », de la poudre d’argent très fine que Vertu évalua à cinq ducats, un goudron assez liquide dont le Chevalier Noir enduisit ses bouchons (peut-être le même qui avait servi à empaqueter la plaque de cuivre gravée), des petites graines de mellifère, une plante magique à laquelle Morgoth semblait accorder une certaine valeur, un liquide iridescent sur lequel il ne se prononça pas, préférant attendre de le voir à la lumière du jour, enfin qu’une sorte de liqueur translucide qui embauma toute la pièce de sa senteur entêtante dès que la fiole fut ouverte, et qui lui était inconnue.
- Pas de potion de guérison ?
- Je ne pense pas, mais il y a plusieurs formules de potion de guérison , je ne les connais pas toutes. Ah, si j’avais su, j’aurais été plus attentif aux cours d’alchimie.
- Peu importe, c’est déjà bien. Tu vois bien, je disais vrai, ces pauvres richesses nous remboursent déjà près du tiers des dépenses engagées pour l’aventure, et nous n’avons pas fini d’explorer une unique petite pièce sans monstre aucun.
- Tu as raison, l’affaire est d’un très bon rapport. Je commence à saisir l’intérêt des donjons.
- Examinons ce coffre maintenant. C’est ma responsabilité, car je suis entraînée à trouver les pièges et à les désactiver.
- Ben heureusement, commenta le Chevalier Noir, c’est pas mon boulot de trigonder les boudines...
- J’expliquais pour Morgoth. Restez en retrait, et couvrez moi.
Mark encocha son arc, comme si un ennemi pouvait jaillir de ce coffre où un enfant aurait eu du mal à se glisser. Après l’avoir inspecté sous tous les angles, Vertu sortit de ses poches intérieures plusieurs petits instruments aux formes complexes dont Morgoth ignorait l’existence, et entreprit de crocheter la serrure. Mais là aussi, le temps avait fait son œuvre, et les délicats mécanismes de cette serrure, chef-d’œuvre d’un artisan du temps passé, s’étaient grippés. La voleuse fut donc contrainte de forcer sur ses outils, tant et si bien qu’elle finit par déraper et par donner un violent coup de coude dans le bois. C’en était trop pour la structure fatiguée du meuble, qui céda dans un craquement mou. Vertu se redressa d’un bond, l’arme à la main, mais rien ne vint, et au bout de quelques minutes, elle se résolut à fouiller dans le tas de ferrures oxydées et d’échardes pourries, à la recherche du contenu du coffre. Hélas, la bibliothèque de parchemins de l’ancien occupant des lieux présentait le triste spectacle d’un tas de fragments de rouleaux jaunis et de tomes savants troués par les vers, auxquels l’irruption de Vertu avait donné le coup de grâce.
Elle se retourna alors vers ses compagnons, et haussa les épaules.
- Bah, tant pis. Je crois qu’on a fait le tour de cette pièce, elle est franche, ça nous fera une bonne base d’opération pour la suite de l’exploration. Je suggère qu’on commence par la porte non barrée.
- Une raison particulière ? S’enquit Marken.
- Simple affaire de logique : celui qui a laissé le mot à notre intention nous a mis en garde contre un danger. Tu noteras qu’une seule des deux portes est barrée, et qu’en outre, la position du coffre indique qu’il l’a probablement tiré là pour bloquer la porte. C’est donc de là que le danger en question était sensé venir. Comme il a dû passer un certain temps dans cette pièce pour écrire son avertissement, il ne s’est pas enfui en hâte, s’il avait eu le moindre doute sur ce qu’il y a derrière l’autre porte, il aurait pris la précaution de la condamner d’une manière ou d’une autre. On peut logiquement supposer que le danger est moindre derrière la deuxième porte, c’est donc par là qu’il faut commencer. Nous y trouverons peut-être des indices sur la nature de la menace, ou un moyen de nous en protéger, que sais-je.
- A moins, ajouta Morgoth, qu’il soit tout simplement sorti par cette porte, il ne pouvait donc pas la barrer de l’extérieur.
- Mais alors qui a mis la pierre gravée en haut du boyau ?
- Effectivement, très juste, tout ça se tient.
- Mettez-vous contre le mur, Mark devant, puis Morgoth. Je reculerai dans la cheminée dès que j’aurai ouvert la porte, si un monstre bondit pour m’attaquer, il se retrouvera pris entre deux feux, et sous la menace des sortilèges.
- Mauvaise idée, critiqua Mark. S’il te lance un projectile depuis le fond, tu fais quoi ?
- Bien vu, alors j’ouvre, et je me place aux côtés de toi. Allons-y.
Vertu s’approcha de la porte et l’examina avec le soin habituel, cherchant une irrégularité du bois qui pourrait trahir un piège magique, ou une spécificité du verrou. Mais elle ne trouva rien de tel. Elle sortit de sa manche un petit appareil métallique biscornu qu’elle inséra dans la serrure, apparemment pour la fermer, puis emmaillota sa main gauche dans d’épaisses couches de tissus. Elle la posa sur le bouton de la porte, un bouton de cuivre bien rond, ses nerfs tendus, attentifs au moindre signe de danger, et tenta de tourner. Le mécanisme était bien sûr grippé, et elle dut forcer progressivement, de telle sorte que la résistance céda d’un coup, produisant un bruit sec. La discrétion n’était plus de mise, car s’il y avait quelqu’un ou quelque chose à l’affût derrière la porte, il était maintenant au courant qu’on allait pénétrer dans son domaine. La voleuse tira donc la porte vers elle d’un coup, tira son sabre, la planta dans l’ouverture noire d’un mouvement foudroyant, espérant surprendre un fâcheux qui se serait tenu derrière, puis bondit vers l’arrière jusqu’à la place qu’elle avait prévu d’occuper.
Silence.
Elle jeta un œil, puis deux, puis s’avança. Elle posa le brasero sur le seuil de la pièce sans le franchir, puis se contorsionna pour en voir le maximum sans entrer. La nouvelle pièce était plus petite encore, et constituait un cul-de-sac. Divers débris jonchaient le sol, des traces sombres et indistinctes étaient visibles sur les murs. D’un bond, Vertu progressa jusqu’à ce que son pied soit presque à l’intérieur, elle planta son épée verticalement, espérant embrocher un ennemi qui se serait dissimulé au-dessus de la porte, puis elle opéra un ample moulinet, faisant décrire à son arme un cercle complet qui aurait blessé quiconque se serait caché derrière l’embrasure. Mais une fois encore, le fer ne trouva à trancher que l’air humide du donjon. Elle risqua une tête, puis du bout de son arme piqua le sol devant elle, avant de sauter prestement à l’endroit qu’elle avait examiné.
La pièce était plus ou moins carrée, les murs taillés dans la pierre avaient été chaulés, mais des traces d’humidité suintante aient souillé le revêtement de coulures bariolées, formant des motifs étranges mais entièrement naturels. Le principal ornement de la pièce était un lit de bois précieux, mais hélas vermoulu, dont le baldaquin s’était écroulé depuis longtemps. Le matelas avait disparu, et les planches de bois faisant sommier avaient été fracturées, apparemment à coups de hache, indiquant que l’endroit avait déjà été visité. Un tabouret près du lit avait dû tenir lieu de table de nuit, et dans l’angle opposé au lit, un grand secrétaire à multiples tiroirs avait subi les outrages du temps et des pillards. Voyant l’état de l’endroit, Vertu se détendit, gageant que si piège il y avait eu, leurs prédécesseurs les avaient déclenchés ou désamorcés voici des lustres. Elle fit venir ses compagnons.
- L’endroit a été fouillé.
- Ils ont peut-être laissé quelque chose, murmura Morgoth, qui commençait à se prendre au jeu.
- Ce serait étonnant, mais on ne sait jamais. Refermons la porte, nous pourrons enfin allumer une torche et y voir plus clair.
Ainsi fut fait, et une clarté plus vive baigna vite toute la zone, éloignant quelque peu les terreurs nées de l’obscurité. Toujours avec prudence, ils se mirent en quête de quelque objet de valeur parmi les débris, avec toutefois plus d’assurance. Morgoth découvrit alors un détail curieux, et demanda l’avis de ses collègues.
- Voyez, derrière la tête du lit, une zone de mur large d’un pied et haute de la moitié, elle présente un aspect différent du reste. Sa forme m’a semblé trop régulière pour être naturelle.
- Tu as raison, opina Mark, on dirait que l’humidité a rongé la chaux différemment à cet endroit.
- Belle trouvaille, renchérit Vertu. Je suppose que si les pillards qui nous ont précédé ne l’ont pas trouvée, c’est parce qu’à l’époque, le mur était neuf et présentait un aspect uni. Tirons vite le lit pour voir quelles surprises nous attendent.
Ils s’attelèrent donc à tirer le lit loin de la paroi, à leur surprise celui-ci ne s’effondra pas sous l’effort et glissa sagement sur la terre meuble. Une fois dégagée, la portion de mur n’en paraissait que plus suspecte. Vertu s’agenouilla devant, porta longuement son oreille contre le mur, palpa l’endroit, toqua alternativement dans le rectangle et au-dehors et parvint à se convaincre que les deux zones rendaient des bruits différents. Du bout de sa lame, elle piqua le centre du rectangle, qui était dur, puis le pourtour, qui était friable. Elle en déduisit qu’une pierre rapportée avait été scellée dans le mur avec du mortier. Mark et Vertu la descellèrent laborieusement, utilisant leurs épées en guise d’outils de carrier, et bientôt elle tomba toute seule, se révélant être une simple plaque de pierre épaisse d’un pouce. Elle cachait une cavité profonde, protégée de l’humidité, dans laquelle un paquet de cuir attendait depuis des générations qu’on vienne le chercher.
- Méfiance, prévint Vertu, qui était au fait de ces choses. C’est sûrement un objet de valeur sinon on ne se serait pas donné la peine de le dissimuler, mais on a du le protéger d’une manière ou d’une autre. Pas question que je mette la main là-dedans.
Sur ces constatations, elle se releva, regarda autour d’elle, puis avisa une mince planche issue du secrétaire dont elle éprouva la solidité. Elle ramassa ensuite un clou de fer qui traînait, et l’enfonça perpendiculairement à une extrémité de la planche en se servant d’un mur. Elle s’assura que son ouvrage était solide, puis fit signe à ses compagnons de reculer. D’une main assurée, elle glissa la mince planche à l’intérieur de la fente, puis positionna le clou à faible distance d’une des lanières de cuir qui entourait le paquet, sans jamais toucher les parois du réduit de pierre. Retenant son souffle, elle passa le clou sous la lanière, puis s’écarta de devant le trou, et d’un coup sec, tira vers elle l’objet de sa convoitise. Aussitôt, le roulement d’une lourde mécanique bien huilée se fit entendre, en même temps qu’un sifflement bref suivi d’un petit choc sourd dans la porte, derrière eux.
Le silence revint, le parti aux aguets se détendit. Par terre gisait le petit paquet de cuir. Vertu risqua un œil de professionnelle curieuse dans l’orifice, et commenta :
- Incroyable, ce système a fonctionné après être resté si longtemps sans entretien. C’est vraiment un très beau travail ! Voyez, d’épais barreaux de fer sont descendus brutalement d’un logement qui nous était invisible, si je n’avais pas tiré très rapidement le butin en dehors du trou, on aurait été bien en peine de le sortir de là. Et ici, vous pouvez voir une fléchette, probablement empoisonnée, qui a jailli d’un logement du fond. Un piège superbement réalisé, vraiment.
- Le paquet, fit Mark, impatient.
- Oui, voyons le fruit de nos efforts. Ces lanières ont durci avec le temps on dirait, il vaudrait mieux les couper. Voilà, alors, qu’avons-nous là ?
Il y avait maintenant, sur le sol de terre battue, un livre, une bague et une bourse. |