"Annie aime les sucettes..." L'air me trotte dans la tête, je le sifflote, je le chantonne, ayant enfin pu mettre la main sur l'intégrale 63-68 de France Gall.
D'une part parce que France Gall c'est bien (si si
). D'autres part parce que je lis
Lolita de Nabokov (ajoutez un zeste de Lemon Incest pour parfumer le tout d'une odeur un peu moins sulfureuse
).
Le roman se présente comme les mémoires d'Humbert Humbert, passionné depuis un torride amour d'enfance inassouvi par les nymphettes, et l'une plus accessible à son emprise que les autres : Lo, Lola, Lolita.
Nabokov distancie deux fois l'ouvrage de lui-même (l'auteur) : mémoires de H. H. (=> narration à la première personne, sans jugement extérieur, où on pourrait déceler une position morale pour ou contre), recueilli et publié par un avocat comme pièce à conviction pour le tribunal. Le nom de Nabokov est complètement écarté (pas même comme éditeur).
La force du récit, outre le style éminemment littéraire, est que Nabokov réussit à faire voir ce qu'est la beauté (sexuelle) d'une enfant (de certaines enfants) (le propre de la littérature selon Proust : faire accéder le lecteur à d'autres univers intérieurs, en l'occurrence celui de H.H.). Avec ça, des arguments pour rationaliser une telle passion.
Ce n'est pourtant pas une apologie de la pédophilie : la rationalisation trouve bientôt ses limites, discréditée qu'elle est par le comportement de moins en moins raisonné du narrateur : il devient progressivement fou (sachant qu'on est prévenu rapidement, le narrateur signalant lui-même des antécédents psychiatriques).
Mais Nabokov se retient de juger : c'est au lecteur d'éprouver de la sympathie ou non pour le personnage selon son code moral : parce que c'est une narration à la première personne (pas de trace explicite de l'auteur), et parce que c'est la démesure de la passion qui devient progressivement blâmable : à aucun moment la perception d'une enfant comme objet sexuel n'est récusé. Il n'est pas impossible qu'à la toute fin du roman, comme dans les
Liaisons dangereuses, le récit par une pirouette récuse tout ce qui précède (dans les Liaisons dangereuses, les personnages principaux sont châties par le Destin, dans le cas de la femme par un
deus ex machina peu convainquant (intentionnellement peu convainquant, à la fois pour se protéger de la censure et pour malgré tout ne pas ruiner le sens de l’œuvre).
Je vous rassure, je ne deviendrais pas pédophile : je préfère les jeunes filles de 18 à 22 ans.
J'ai commencé pour l'abandonner au bout d'une vingtaine de pages
Le Voyage d'Anna Blum de Paul Auster : c'est une longue lettre qu'adresse une femme à un vieil ami, lui décrivant les ruines d'un monde dévasté. Mais les notations sont tellement banales, et trop peu crédibles pour oublier la présence malvenue de l'auteur : certaines réactions (d'ordre sociale) qu'il décrit dans la situation qu'il invente ne sont tout simplement pas crédibles : curieuses, édifiantes, mais pas crédibles : et lorsqu'on lit un roman en se disant "je n'aurais pas fait ça comme ça", c'est que quelque chose ne va pas. Comme en plus je m'ennuyais (pour mesurer un peu, autant qu'en jouant à
Darksiders ), j'ai refermé le livre. Ca confirme mon jugement sur Paul Auster, à savoir qu'il n'est pas un homme de talent, comme un magicien dont on verrait les
trucs. Je m'en tiendrais de lui à
Tombouctou et
la Musique du hasard (il a eu quelques éclairs de génie dans sa carrière).