J'ouvre ce sujet pour essayer de tester le partenariat entre les Forges et Level Up. L'idée est la suivante : je me suis penché sur un sujet qui m'intéresse, à savoir l'utilisation du game over dans les jeux. Je voudrais exposer les réflexions que j'ai pu avoir pour commencer un débat et à la fin de celui-ci, en faire la synthèse dans un article publié sur les Forges. Ce serait, je crois, une façon d'avoir des points de vue plus variés sur une même question.
Pour commencer, j'ai essayé de regarder la façon dont fonctionnaient les différents game over dans les jeux auxquels j'ai pu jouer jusqu'à présent. En examinant ces exemples, je vois essentiellement deux critères qui permettent de les distinguer.
I. le game over est-il pénalisant ou non ? Si oui, comment ?
Le game over peut être pénalisant de deux façons essentiellement. D'une part, il peut ramener la progression du joueur en arrière en effaçant ce qu'il a fait, en diminuant son argent ou son expérience. D'autre part, il peut ramener le joueur à un autre lieu.
1. Retour en arrière.
Le game over classique, le plus pénalisant, consiste à effacer intégralement ce que le joueur a réussi à faire depuis le dernier point de sauvegarde. C'est le cas dans la plupart des Final Fantasy par exemple. Ce game over est plus ou moins pénalisant selon la fréquence d'apparition des points de sauvegarde.
Le joueur peut aussi être pénalisé non pas par la perte de tout ce qu'il a fait jusqu'à présent, mais seulement d'une partie, par exemple de l'argent ou de l'expérience. Dans la série des Dragon Quest ou des Pokémon, le game over se solde par la perte d'une bonne partie de son argent (la moitié me semble-t-il) mais conserve tout le reste.
Un exemple plus subtil est celui de Drakengard 2 : lorsque vous perdez une bataille, deux choix s'offrent à vous. Soit vous arrêtez et vous perdez l'argent et l'expérience gagnés, soit vous recommencez immédiatement la bataille et vous ne perdez que l'argent gagné. Ce principe est très fin : le joueur est invité à recommencer immédiatement, mais on ne lui fait pas grâce du game over. Il est de toute façon pénalisé (grâce à l'argent), et il ne minimisera cette pénalité qu'en faisant preuve de persévérance. Qui plus est, cela permet d'éviter que le joueur ne se retrouve bloqué définitivement, il a toujours la possibilité de faire de l'XP d'une certaine manière (ce qui n'est pas du tout gênant, les batailles étant jouissives).
A l'autre bout du spectre, des jeux comme Final Fantasy XIII et Kingdom Hearts proposent au joueur de recommencer juste avant le combat. Braid va jusqu'à ne pas proposer de game over : le joueur a toujours la possibilité de remonter le temps pour empêcher celui-ci (on peut alors se poser la question : un game over est-il toujours nécessaire ?). La pénalité est donc dans ces cas nulle (ou quasi-nulle).
Quels sont les avantages et les inconvénients de se trouver à l'un ou à l'autre des deux bouts du spectre ?
Le risque d'un game over trop pénalisant, c'est celui de frustrer le joueur. Un joueur qui a traversé toute une partie d'un niveau difficile et se voit obligé de tout recommencer pour une minuscule erreur peut tout à fait décider d'abandonner purement et simplement. C'est ce qui arrive par exemple quand le joueur, pour aller retenter la séquence difficile qui le bloque, doit retraverser à chaque fois tout le niveau (qu'il commence à connaître par cœur) parce que le level designer n'a pas prévu assez de points de sauvegarde. On peut essayer de résoudre ce problème en multipliant les checkpoints, comme dans un Alan Wake : la multiplicité des points de sauvegarde
Mais un game over trop peu pénalisant ne permet pas au jeu de développer une tension chez le joueur. Les Dragon Quest et les Persona jouent sur ce point, en ne proposant pas ou quasiment pas de points de sauvegarde dans les donjons. Dans ces jeux (tout particulièrement dans le Tartarus, le donjon unique de Persona 3), le fait de rentrer dans le donjon constitue une plongée, il donne le sentiment d'être pour ainsi dire « en apnée ». C'est très frustrant de perdre en plein milieu d'un donjon et de devoir retourner à l'entrée (surtout si c'est pour se faire dépouiller de tous ses biens ou de la moitié de son argent), mais en contrepartie, une descente réussie est extrêmement gratifiante. Ceci permet de créer une vraie tension dans les donjons et quand on retourne enfin au point de sauvegarde, il y a un sentiment réel de soulagement, de récompense. C'est tout ce qui fait l'intérêt et l'ambiance des safes rooms des différents Resident Evil. Pour citer un grand dramaturge français :
Il y a un compromis à trouver ici entre sécuriser totalement le joueur mais détruire tout challenge ou placer le joueur dans une situation de stress (au sens positif du terme) mais prendre le risque de le frustrer.A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
2. Changement de lieu
Une autre façon, un peu plus rare, de pénaliser le joueur consiste à continuer à le faire jouer mais en le renvoyant à son point de départ. L'exemple-type de ce genre de game over est celui proposé dans les différents Zelda : quand on meurt, on ne perd rien, mais on réapparaît (avec peu de vie) soit dans un lieu déterminé (l'entrée de la grotte dans le premier opus, la maison de l'oncle dans A Link to the Past, etc.), soit à l'entrée du donjon. Ce n'est pas forcément très pénalisant, mais suffisamment pour que le joueur soit stressé à l'idée de perdre.
De plus, cette forme relativement peu pénalisante permet au game designer de faire flirter le joueur avec le game over. Si le game over est radical, le jeu doit être conçu pour que le joueur n'y ait pas affaire trop souvent (ou alors vous allez le frustrer). Ici, on peut se permettre de faire mourir le joueur relativement souvent. Et c'est par exemple ce qui différencie The Legend of Zelda premier du nom de beaucoup jeux mal dosés de son époque : le jeu est dur, c'est un véritable challenge, mais il encourage le joueur à persévérer grâce à un système intelligent de game over. Si le game over avait été pénalisant comme dans un Final Fantasy classique, la plupart des joueurs auraient sans doute très rapidement arrêter de jouer.
II. D'autre part, le game over rompt-il la continuité de la narration ? Celle du gameplay ?
Une différence essentielle entre les deux types de pénalité que nous venons de présenter est que le premier interrompt le flot de la narration, alors que le deuxième le préserve. La question de l'immersion du joueur entre alors en jeu. Est-ce que le game over ne risque pas de rompre cette immersion en interrompant le flot du jeu ?
L'exemple qui me vient à l'esprit est celui de Dark Souls et de son prédécesseur Demon's Souls. Ici, le game over est intégré à la narration et même, au scénario. Lorsque le joueur meurt, il revient à son lieu de départ, mais tout ce qu'il a fait reste valable. S'il a pu récupérer l'arme surpuissante caché dans un coffre juste derrière le boss, tant mieux pour lui car il garde et pourra se servir de ladite arme pour asmater ledit boss. A l'inverse, s'il a gaché son mégalixir, il l'a dans le baba. En intégrant cet aspect au scénario (avec notamment l'apparition d'une sorte de « hub » pour morts, le Nexus), les développeurs ont su créer un système très intéressant et qui contribue tout particulièrement à l'ambiance extrêmement oppressante du titre.
III. Et le timing dans tout ça ?
La question du respawn, s'il y en a un, me paraît importante. Il est *insupportable* de devoir passer du temps à attendre (c'est par exemple quelque chose que je détestais quand je jouais à Counter Strike en réseau). Un des trucs qui peut être particulièrement pénible quand on perd dans un jeu, c'est de devoir attendre avant de pouvoir rejouer. Non seulement vous avez perdu, votre honneur est sali, vous êtes pénalisé dans le jeu et en plus vous devez poirauter (et allez que je me farcis de nouveau les noms des développeurs, éditeurs, technologies utilisées, l'écran-titre et tous les menus, sans compter les temps de chargement en bonus).
Un exemple qui me paraît primordial est celui de Super Meat Boy. Le gameplay de ce jeu repose essentiellement sur la possibilité de réessayer très rapidement. Imaginez ce qui se passerait s'il y avait une latence de, disons cinq secondes entre chaque essai : Super Meat Boy passerait du statut de jeu culte à celui de médiocre jeu de plate-forme.
IV. Les faux game over.
Certains jeux jouent sur l'opposition diégétique/extradiégétique (ce que voit le personnage/ce que voit le joueur) avec de faux game over. Il s'agit essentiellement de séquences humoristiques et les deux exemples qui me viennent en tête sont d'une part le délirant « Fission Mailed » de Metal Gear Solid 2 et la fausse mort (avec déroulé complet du générique de fin !) du pauvre Guybrush Threepwood dans The Curse of Monkey Island.
J'espère que ceci constitue un début de réflexion acceptable, j'attends vos suggestions C:
Au passage, je me demande si cette discussion ne nécessite qu'on développe aussi la question de la sauvegarde en même temps :°